Nouveau départ [PV Jin]

Le soleil du printemps qui passe à travers les stores poussiéreux dépose dans la petite pièce un voile doré qui lui donne, malgré sa piètre allure, des airs de majesté. Soo Lin ne pourrait pas être plus heureuse. Finalement, après tant de recherches et d’économie, elle a réussi à dénicher ce petit bureau -certes un peu miteux mais avec quelques heures de ménage et peut-être une nouvelle couche de peinture ce sera reluisant- (c’est Phili qui sera content ha…ha..) à louer pour y installer son cabinet de détective privée. Recevoir les clients chez elle est certainement fonctionnel, mais de moins en moins pratique avec tout ce qui se passe en ce moment. De plus, plusieurs se sont enfuis en constatant le désordre permanent des lieux ou encore la tarentule se promenant à son aise sur les meubles. L’endroit est composé d’une petite salle d’attente où se trouve un bureau de réceptionniste, d’une petite cuisine ainsi qu’un autre bureau fermé où la jeune détective pourra recevoir les clients. Elle n’aurait pas pu trouver d’endroit plus parfait.

C’est donc dans le silence paisible du soleil matinal qu’elle savoure cette petite victoire. Elle a dit à Philibert de dormir aussi tard qu’il le voudrait ce matin, qu’elle n’aurait besoin de lui qu’en après-midi, et a rapidement enfilé un jeans et son pull noir favori avant de venir appréhender ce nouveau départ toute seule. Le propriétaire de l’immeuble lui a remis les clés dès son arrivée, visiblement trop content d’avoir pu passer à quoique ce soit cet espace inutile.

Naturellement, qui dit agrandissement dit plus de personnel. Avec sa notoriété grandissante, les clients se font de plus en plus nombreux et il était devenu impératif pour Soo Lin de trouver quelqu’un qui se chargerait des tâches que ni elle ni Phili n’ont envie de faire. Le tout premier candidat devrait arriver d’une minute à l’autre. Soo Lin essaie de balayer un peu la poussière, puis s’installe au bureau du secrétaire en attendant le jeune homme.

Elle le reçoit avec un sourire lorsqu’il entre, visiblement un peu hésitant. Ne sachant pas trop comment se comporter dans ce genre de situation, elle a passé les derniers jours à se taper autant de séries télévisées en milieu de travail qu’elle n’a pu trouver.

— Bonjour, vous êtes Limstella ? Demande-t-elle en consultant ses notes.

Elle jette un oeil par dessus le bureau et se rend compte qu’il n’y a pas encore de chaises.

— Il va falloir faire ça debout, j’en ai bien peur.

Elle s’assoit sur le bureau pour être plus à sa hauteur et croise les jambes.

— Je ne vous demanderai pas pourquoi vous avez décidé de venir appliquer pour moi, la raison me semble évidente : vous avez besoin d’argent. Vous venez d’arriver en ville et êtes un peu paumé, mais oui aviez tout de même assez d’argent pour mettre à jour votre garde-robe. De ce fait l’ensemble complet que vous portez présentement est flambant neuf. Vous avez emménagé sous peu, probablement pas dans un palace comme celui où vous avez grandi, mais c’est déjà mieux que de demeurer à la maison à devoir subir le destin tout tracé pour vous par maman et papa qui réside en le contrôle de l’entreprise familiale et commence par un mariage d’intérêt avec une autre princesse sortie du même type de château que vous. Vous prendrez du thé ?

Elle se laisse tomber sur le sol et se dirige vers la petite cuisine, convaincue que le jeune homme la suivrait.

— Je me suis trompée quelque part ? demande-t-elle, toujours curieuse de pouvoir valider ses déductions.

— Je me suis trompée quelque part ?

— Je ne cherche pas un emploi seulement pour le salaire. J’aimerais que ce soit un boulot qui me plaise bien, aussi.

Tiens, cette réponse a de quoi étonner la jeune détective. Lorsqu’on vient de Kyrial, on cherche rarement le bonheur. Le simple fait de pouvoir s’en sortir est, bien souvent, la principale motivation des réfugiés. Et puis, qui s’intéresserait à cet emploi en raison du salaire ? Elle ne peut définitivement pas lui offrir des lingots d’or.

— Le costume est un présent. Comme mon nouveau ‘’palace’’, d’ailleurs. Papa ne contrôle plus l’entreprise familiale, nous avons une bonne relation. Et je prendrais du thé, s'il vous plait. Je peux vous aider?

Soo Lin le laisse faire : elle n’aime pas cuisiner de toute façon. S’il pouvait faire ça tous les jours, ça l’arrangerait bien. Il faudrait qu’elle pense à ajouter cette tâche à son contrat. Ces révélations ont de quoi la faire réfléchir. Elle est rarement aussi décalé sur les gens ; il faut dire que sa situation doit être spécialement… unique ? Décidément, sa curiosité est piquée. Voilà qui constitue un grand avantage pour lui. Une personne ennuyante aurait été automatiquement disqualifiée.

— Nous venons du même endroit, vous et moi, non?

Cette fois, la jeune détective lui accorde un pâle sourire. Pas mal, pour un amateur. Elle acquiesce en silence, le laissant parler.

— Je suis vraiment intéressé par cet emploi, mais je n’ai jamais rien fait de similaire auparavant. J’apprends très vite, cependant.

Calmement, Soo Lin s’installe en face de lui et porte sa tasse fumante à ses lèvres.

— En effet, nous venons du même endroit. À une exception près : j’étais de ceux qui font la guerre et vous, de ceux qui la gagnent.

Un voile de nostalgie passe dans ses yeux, mais elle chasse rapidement ses souvenirs. Les choses vont bien, aujourd’hui. Il faut regarder en avant.

— L’expérience de travail n’est pas bien importante. De toute façon, ce travail ne ressemble à aucun autre. Je vais vous poser quelques questions sur vos aptitudes. À ce que j’ai pu observer, vous vous sentez à l’aise dans une cuisine ?

Elle désigne la bouilloire d’un geste du menton.

— Que pensez-vous des gens ? et des insectes ?

Elle se dit qu’elle aurait peut-être dû préparer ses questions à l’avance, mais son idée est déjà pratiquement toute faite de ce jeune homme. Et puis, jusqu’à maintenant, il n’y a aucun autre candidat au poste, alors le choix ne s’annonce pas des plus ardu.

— Êtes-vous paresseux ? Combien d'heures dormez-vous dans une nuit moyenne ? Aimez-vous prendre des photos ?

Lui laissant le temps de répondre, elle sort un carnet et un stylo, histoire de pouvoir prendre quelques notes.

— Le métier de détective privée est assez… dangereux. Par contre, j’estime que vous ne savez ni vous battre à mains nues, ni vous servir d’une arme, je me trompe ? De ce fait, je voudrais m’assurer que vous soyez qualifié et surtout, volontaire pour vous voir confié l’ensemble des tâches qui ne présentent aucun danger.